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Margot

« Maigre. Trop osseux. Trop plat.
Trop fin. Squelettique. Pas assez gras.
Ils le disent sans volume ni courbes,
Les bruits de couloirs qu’alimentent les fourbes.
Un peu trop sensible, un peu trop frêle,
Tu t’envoles avec le vent, te brises sous la grêle.
Et de plus en plus, ils ressassent,
Ton reflet devient affreux sans une glace.
Le personnel médical s’y met :
« Il faudrait que ton corps s’épaississe »
Me répètent-ils sans arrêt.
« Tout chez toi est bien trop lisse.
Mange, mange, mange, petite oie. »
Et la nourriture devient un calvaire pour moi.
Par crises, je mange sans coupure
Ou refuse pendant des jours toute nourriture.
Pas d’anorexie, pourtant, ce n’est pas que je ne veux pas grossir.
Non, Margot est simplement mal, on a connu bien pire.
Pourtant, quand une simple bactérie
M’envoie sous perfusion, allongée sur un lit,
Mon corps abandonne, épuisé de mes conneries,
Et, contrainte, c’est la médecine qui me nourrit.

C’est bien plus tard que mes parents s’aperçoivent
Qu’à la moindre contrariété, c’est mon corps qui en bave.
Morsures, griffures, crises d’angoisse à répétition,
Ne savent plus quoi faire, ni quelle est leur mission.
Tentent de me gronder, dans l’espoir d’une réaction.
Ou bien peut-être suis-je seulement en manque d’attention ?

Finalement c’est la liqueur qui me récupère un soir,
La médecine m’appelant, je la mêle à l’histoire…
Les hommes en costume rouge et l’infirmière du lycée
Pensent alors à un essai pour rejoindre les macchabées.
Bien sûr que j’y ai pensé, à cet hôtel de l’éternité,
Où enfin les damnés peuvent vivre en paix.
Mais ce soir-là, c’était simplement épuisée
Que, pour dormir, à ces soins je me suis livrée.
Mes pensées me travaillaient, sans cesse,
Parlaient fort dans ma tête, on se croirait à une messe !
C’est bien elle, la prières des médisants,
Malmenant mon esprit, et mon corps, insultant.
Observée à l’extérieur de ma maison,
Harcelée par ma propre imagination,
Cela faisait des mois que j’évitais les regards,
De peur que celui que je croise soit toujours plus noir.
Je me cachais dans les couloirs,
M’accroupissais dans les recoins sombres,
Évitant à chaque minute la foire
Des gens qui jugent sans encombre.
Faible. Faible. Faible. Ridicule.
Leurs regards me faisaient me sentir minuscule…

Cependant, à chaque sonnerie, je trouve la force de me relever,
Et pour le prochain cours, jusqu’à la prochaine salle, la force d’avancer.
J’écoute attentivement, lève les yeux jusqu’au tableau,
Écris frénétiquement le moindre de ses mots.
Je ne suis pas mauvaise élève, juste un peu absente.
Disent les bulletins à l’encre noire permanente.
Et quand je m’apprête à aller mieux, ma moitié me guidant,
Voilà que me touche la vie sentimentale de mon parent.
Ma moitié m’entraîne vers un moment imprévu,
Ou je le vois, il me regarde, et je ne sais plus.
Je ne sais plus rien depuis ce moment-là.
Simplement que cette étoile m’aveugla.
C’est lui qui efface le plus grand nombre de mes doutes.
Lui qui dessine rien que pour moi la plus belle des routes.
Celle de l’amour des autres, de l’amour de soi,
C’est depuis que je ne me considère plus comme ma propre proie.
Je ne dis pas que tout a changé, il reste du chemin à faire,
Sans lui. Il a lâché l’affaire.
Mais ce qu’il m’a laissé m’a forgée,
Je sais que je ne peux pas abandonner.
Et, chaque fois qu’il le faut, je le sais,
Je pourrai compter sur ma moitié pour me relever.»

Margot B.