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Lou

Je pense trop. Je ressens trop. Je suis un être qui oscille entre la rationalité la plus inquiétante et le débordement d’émotions. Ces deux facettes ne surgissent jamais quand il le faudrait. J’intellectualise tout ce qui passe par cette cervelle mal conçue sans pouvoir utiliser le bouton pause, pas moyen de seulement sentir. J’ai un corps si sensible qu’il faut mille précautions pour pouvoir le toucher, pas moyen de le convaincre. Un projet photo, cela me demande de trouver le juste-milieu parfait, ce que je suis incapable de faire. Néanmoins, je lis, je laisse l’idée m’atteindre et me plaire, je regarde un peu. Je ne veux pas en faire plus pour ne pas laisser Monsieur cerveau prendre le dessus et me faire réaliser un plan parfait

Le jour J, néanmoins, le syndrome de la bonne élève me fait trembler. Je n’ai pas assez préparé. J’aurais dû tout regarder et tout lire dans le détail. Pour savoir quoi dire, quoi faire, comment réagir, comment me comporter. J’hésite jusqu’au dernier moment puis je me lance. Je suis là dans ma robe de travail et maquillée. Je suis exactement le reflet de ce que voient mes élèves, sans mon aplomb habituel. Mais quel reflet ? J’ignore ce qu’ils pensent. Toujours la même robe, immuablement. Seuls les collants et les paires de chaussures changent. Ils trouvent sans doute cela bizarre. Les collègues ont parfois dit de mon look qu’il était « rigolo ». Je ne sais pas ce que ça veut dire. Ce que les autres lisent en moi, ce qu’ils projettent sur moi est un mystère absolu. Ai-je l’air futile ? Préoccupée par mon apparence ? Idiote ? Prétentieuse ? J’ai si peur d’être une élève, une enfant, que je surjoue l’adulte, la femme. Toujours pas de juste milieu. Il a fallu tant de séductions et de spectacles pervers pour me convaincre. Comment être une femme en me débarrassant du regard masculin ? Je l’exècre pourtant plus que tout, alors que je m’y suis pliée jusqu’à la violence, autrefois.

Je suis un imposteur. J’ai toujours l’impression que quelqu’un va découvrir ce qui se cache sous mes vêtements bien lisses, bien noirs, sous mes collants opaques. J’aimerais les arracher, ces collants, arracher la robe aussi, pour ne plus me préoccuper de ce que pensent les autres. Je suis esclave de leur regard. Même ici, je ne suis pas légitime. Je ne me sens pas à ma place. J’aurais dû faire mieux, être capable de planifier cette séance. Je suis une obsédée de la perfection, alors forcément je ne peux que rater. Je ne suis qu’une névrosée qui ne sait pas comment être, être quoi, comment être tout court.

Mon psy a dit « vous pensez que c’est votre sœur qui aurait dû faire ces photos ? » C’est exactement ce que je pense. Je culpabilise de mes problèmes qui n’en sont pas, en attendant je n’arrive toujours pas à la soigner, elle, à lui trouver des solutions. Sa souffrance à elle me semble bien plus compréhensible. Moi, je dois faire avec, éviter de me plaindre. Ne pas trop en demander, être sage, bien me comporter. Voilà ce que l’on attend de moi, pour compenser ses défaillances à elle. Si cela lui est permis, c’est parce que j’équilibre les choses. Alors je dois me convaincre que j’ai le droit, peut-être, de tout arracher, de montrer ce qu’il a sous la surface lisse et rationnelle. Ce n’est pas facile, de se donner un droit. Je réalise déjà à peine que j’ai le droit de tenir un appareil photo entre les mains, que j’ai le droit d’en parler et que mon regard aussi compte.

Il faudra batailler avec mon esprit pour me convaincre que j’ai ma place dans cette galerie de portraits et de textes qui reflètent des êtres en quête, comme moi.

Lou